"Triste tigre" de Neige Sinno (P.O.L)

Que dire de ce récit qui n’ait été raconté en long, en large et en travers depuis la rentrée ?

Il ne s’agit pas d’un récit autobiographique des viols subis par Neige lorsqu’elle était enfant. Même si elle relate les faits, l’enfant, devenu ado puis femme s’interroge et interroge le lecteur continuellement sur le regard que porte les autres, que ce soit sa famille ou l’entourage, sur l’agresseur. Elle tente de déconstruire l’écheveau des circonstances et raisons qui ont permis à son entourage de ne rien voir, rien faire. Elle se heurte à l’omerta qui règne dans un village où tout le monde se connait et qui accueille un « bourreau » comme si rien ne s’était passé, celui-ci qui arrive à refaire sa vie comme si de rien n’était. La dette sociétale est effacée car l'agresseur a purgé sa peine, mais Neige n’en finit pas de s’interroger, car pour elle, par contre qui a subi, rien de ne peut être effacé.

Elle doit affronter l’incompréhension de certains membres de sa famille qui n’ont pas compris cette dénonciation auprès de la justice alors que Neige ne voulait que protéger ses frères et sœurs de ce qu’elle a subi.

Vous l’aurez compris, je n’ai pas seulement aimé ce livre qui décrit des faits insupportables, je l’ai aimé car ce récit relate de façon très claire, nuancée et fine, en convoquant d’autres auteurs, toutes les interrogations « sur ceux qui commettent la violence et ceux qui la subissent. »

Neige décrypte, analyse et en tant que lecteur on ne peut que s’interroger à notre tour sur tous ces manques, à toutes ces personnes qui ne veulent pas voir, au rôle de la justice et du rôle libérateur des peines effectuées.

Pour ma part, je retiens deux choses: 

• Neige Sinno a la hantise d'exister dans la littérature, non pas par son écriture, mais par son sujet. Je ne sais pas si cette autrice va de nouveau écrire et sur quel sujet mais j’aime son écriture et je lirais volontiers quelque chose d’autres.
• Les chiffres sont impressionnants : 10% des victimes portent plainte et 73% des plaintes aboutissent à un non lieu.  Moins de 7% des plaintes aboutissent à une condamnation de l'auteur, précise également la Ciivise dans un rapport de novembre 2022.

 Avis d’Aifelle :